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Conversation grammaticale
C’était un frileux petit matin d’octobre, vers les 8 heures et demie. Le mari et le fils partis courageusement accomplir au loin leurs tâches quotidiennes, je savoure le confort du foyer familial. Je regarde d’un œil la cafetière qui fume, hésite et finalement décide qu’un autre café m’aiderait certainement à faire un plongeon dans cette journée nouvelle. Armée du récipient au liquide odorant, je m’en vais, sans attendre, m’installer devant ce merveilleux outil, qui bien qu’il soit sans malice aucune, fait bien souvent encore un peu peur à certain.
Pour ma part, je l’avoue dès la première rencontre, entre lui et moi, ce fut un coup de foudre.
Quel merveilleux engin ! Disponible, conciliant, qui se rit des erreurs et vous les répare en un tour de main. Que dis-je en un tour de main ? Pour être plus précise, il conviendrait de dire en jouant juste de quelques touches. Donc, je m’apprête à pousser le bouton, magique interrupteur, qui donne vie à l’appareil et lumière à l’écran, active sa mémoire et la met en éveil, quand, soudain, un murmure attire mon attention. D’où vient-il ? Je reste silencieuse afin de déceler d’où vient ce bruit étrange. On dirait quelque chose comme une conversation.
Avant de continuer ce modeste récit, il faut que je vous dise que mon compagnon de vie, un jour où son humeur était à la bricole, eut la géniale idée d’installer une large étagère près de l’ordinateur. Ainsi j’ai tout loisir de garder à portée de la main les indispensables ouvrages de références ainsi que les divers et nombreux dictionnaires. Bien en vue, dans
un ordre impeccable et facile d’accès, trône Maître Larousse. Il est en compagnie de
l’imposant Robert et de l’indispensable Multi pour toutes les difficultés de la langue
française. Il y a là aussi, un rigide Collins anglais en habit de carton bleu marine, et bien
évidemment un Larousse espagnol dans sa couverture d’un rouge flamboyant. J’ai pour
ce langage un attrait évident. Cet accent chantant a pour moi tant de charme. Il doit avoir du vrai dans ce que l’on disait ; dans cette fière Espagne, il paraîtrait que la famille de mon père jadis, y plongeait ses racines. Et puis, au bout de la rangée, un petit livre sans prétention aucune et dont la couverture laisse à penser qu’il est d’un âge vénérable.
Maurice Grévisse, Précis de Grammaire française. Faut-il dire Grévisse ou encore
Grevisse ? Je ne l’ai jamais su. Comme la religieuse qui nous enseignait, disait parlant de lui : «mes enfants, veuillez prendre votre grammaire Grevisse», je m’obstinais à croire, par esprit de pure contradiction qu’elle se trompait, qu’il convenait de dire Grévisse. Car bien évidemment à cette époque lointaine l’accent posé sur les majuscules était chose inconnue.
Grevisse ou Grévisse, peu importe vraiment, il n’y a pas là quelque chose d’important et
digne qu’on s’y attarde mais je persiste à croire, que c’était moi qui avais raison...
Sur la page blanche qui suit la couverture, une écriture d’enfant malhabile y a tracé à
l’encre ces mots : «Marybé, Pensionnat des Dames du Sacré Cœur, troisième année.
Cette grammaire est bien à moi. j’en suis propriétaire. Quelle belle fidélité ! Imaginez un peu depuis toutes ces années, elle m’a suivi partout. Et même, quand en juillet soixante-dix, nous prîmes mon compagnon et moi la grande décision de laisser derrière nous le vieux monde et de sauter par-dessus l’océan afin de découvrir cette grande province aux allures si attirantes, je n’ai pas oublié de lui trouver une place confortable au sein de mes valises.
Hors de question d’abandonner un témoin important d’une enfance studieuse qui peina bien souvent pour apprendre ses règles.
Et c’est avec surprise que je découvre que le murmure étrange qui m’avait intriguée
provient d’entre ses pages.
Indiscrétion peut-être ? ... mais je veux écouter...
Voici ce que j’entends clairement énoncer : l’article défini dit à son demi-frère l’article
indéfini : «Y avez-vous pensé mon cher, l’importance que nous avons vous et moi, car
c’est bien grâce à nous, que le nom, peut savoir de quel sexe il est. Et aussi de quel
nombre. Féminin, masculin, pluriel ou singulier, ce sont des choses qu’il se doit de savoir. »
Le nom qui vient d’entendre cette remarque, acquiesce et se permet alors la réflexion
suivante : «oui mes chers, vous m’êtes très précieux. Peu importe d’ailleurs que je sois
nom commun, nom propre, nom simple ou composé, vous m’êtes chers articles des
repères précieux. Mais il ne faudrait pas pour autant oublier, le rôle primordial joué par
l’adjectif. Car il est, lui aussi, un précieux additif car il me qualifie et puis me détermine et c’est bien important».
Nullement jaloux, les articles en chœur approuvent sans conditions. Et voilà que le verbe, jusqu’alors silencieux, entre dans le cœur de la conversation. Il se jette dans l’action. Ce n’est pas étonnant, car l’action est souvent du verbe la principale fonction, bien qu’il arrive cependant que, des fois, il marque l’existence ou encore l’état. De natures diverses, il peut être auxiliaire, pronominal, des fois impersonnel. Peu importe, qui qu’il soit, ce qui est certain, vraiment irréfutable, point de phrase sans verbe, point de proposition. Il peut donc se vanter d’être indispensable.
Présente, la grande famille des pronoms dans lequel on retrouve les personnels, les
possessifs, les démonstratifs, les relatifs, sans oublier bien sûr les interrogatifs et les
indéfinis. Certains se risquent à leur tour d’émettre une opinion. «Tout cela est bien beau» disent-ils, mais y avez-vous pensé ? Nous sommes quand à nous dignes représentants du nom et même d’un adjectif, d’une idée ou encore d’une proposition. Ce point, il nous semble, se doit d’être souligné.
«Vous avez entièrement raison», dirent en cœur tous les autres éléments de la phrase.
Vous êtes vous aussi vraiment indispensables.
Dans un coin, taciturnes ou songeurs, je ne sais pas vraiment, je vois la gamme des mots
que l’on dit invariables. Comme ils ne varient pas, ils sont imperturbables. L’adverbe en
tête, puis la préposition, la conjonction ensuite et en tout dernier lieu se trouve l’interjection.
Finalement celle-ci devant le mutisme des autres, se permet enfin de dire quelque
chose : «Juste ciel ! Croyiez-vous vraiment nous reléguer à part. Holà! Sachez que nous
sommes nous aussi indispensables. L’auriez-vous oublié ? »
Silence dans l’assistance, une telle omission est, à tout le moins, vraiment impardonnable.
Alors, le verbe en sa qualité de maître incontestable de la phrase prend la parole et
s’adressant à tous, dit les mots que voici : «Vous tous ici présents, peu importe qui vous
êtes, articles, noms ou pronoms, adjectifs, adverbes prépositions ou encore conjonctions, peu importe votre rôle ou vos attributions, vous êtes pour la qualité du discours comme pour celle de l’écriture aussi indispensables que l’air ou l’eau pure le sont à la nature. C’est de la bonne entente que naît l’harmonie. Ne vous jalousez point, mais bien au contraire créez et tissez entre vous des liens amicaux et solides. Unis et en accord, vous formerez des phrases dont la qualité, la clarté, la précision rendront soit le discours ou encore, la lecture agréable. Chacun d’entre-nous est soumis à des règles, à des principes à suivre et c’est dans la grammaire qu’ils se trouvent consignés. »
Le discours du verbe me semble plein de sagesse. La grammaire, c’est un fait, est un
outil précieux, dont on ne peut, même si on le voulait, prétendre se passer.
Le Larousse qui, comme ses confrères, avait suivi toute la conversation, avec des
trémolos dans la voix énonça ce qui suit : «j’éprouve quelques inquiétudes, dit-il,
concernant notre avenir à tous. Depuis plusieurs années, on parle de nous remplacer
par un média nouveau, plus moderne, plus d’actualité. Qu’en est-il vraiment ? Que
deviendrons-nous ?»
Cette interrogation semble m’être destinée.
Alors je le rassure. Si pour l’instant, lui dis-je, et depuis des années vous vous êtes
trouvés couchés sur des pages de papier, bientôt c’est évident, pour être plus conforme
à l’esprit du moment, vous vous retrouverez logés sur un support nouveau, appelé
CD-ROM. Mais il n’y a pas là matière à s’inquiéter. Au contraire, plus facile d’emploi, et
plus polyvalents, plus séduisants aussi, grammaires et dictionnaires, sous cette forme
nouvelle, seront à mon avis, encore plus souvent consultés. Ne l’oubliez jamais, l’avenir
est à ceux qui lui font confiance et qui se font devoir de contrer les petites habitudes, la
routine souvent sécurisante, mais qui, dans bien des cas, frêne l’évolution.
Mais voilà, que soudain, je pense à mon petit bouquin. Précis de grammaire française,
fidèle compagnon depuis ma tendre enfance. Si un jour, je devais le voir remplacer par
un fameux CD ? Je sais qu’il restera l’unique, l’irremplaçable. Il ne périra point. Il sera
de la liste des objets à léguer.
Qu’adviendra-t-il de lui quand j’aurai disparu ?
Je me plais à penser que dans ma descendance, il se trouvera quelqu’un qui lui
accordera parfois une oeillade bienveillante. Qui délicatement le feuilletant d’une main, prendra garde d’abîmer plus avant sa couverture déjà si défraîchie. Alors, avec sur les lèvres l’ombre d’un sourire, peut être un peu moqueur, se parlant à lui-même, dira «ainsi c’est donc sous cette forme là que se présentaient les règles de grammaire, autrefois, jadis au temps de ma grand-mère... »
Sergyann-Marybé
Septembre 1996
bonne nuit votre ami du sud younes :d :d :d (k)
J'ai adoré lire ce texte. Il m'a rappelé qu'il n'y a pas longtemps, lors de tri et de rangement, j'ai retrouvé sous une pile de draps brodés en lin, héritage de la famille, le cahier reçu lors de mon premier jour d'école maternelle. J'avais cinq ans. Je me souviens que ce jour-là, j'avais fugué pour retourner chez moi, mais une "grande" m'avait rattrapée dans la rue.
C'est avec émotion que j'ai ouvert ce cahier et ai vu des lignes de ti, ti, ti, tu, tu , etc... écrites d'un crayon encore tremblotant. Je ne savais pas encore que les mots allaient devenir mes amis et que j'aurais la passion de la lecture et de l'écriture.
En cherchant, j'ai retrouvé aussi mes premiers livres de lecture. Des livres, j'en ai partout dans la maison : dans mon bureau, dans ma chambre, dans la bibliothèque et dans des malles au sous-sol. Je n'ai jamais pu jeter un livre. Pour moi, cela aurait été un sacrilège.
Saha, tu me fais penser à ma première journée à l'école c'est comme si c'était hier, ce jour reste graver dans ma mémoire car la maîtresse m'avait tiré les oreilles parce que je ne savais pas écrire avec une plume, j'ai maculé mon tablier blanc, mon cahier d'écriture et toute la surface de la table avec de l'encre ....à l'époque il n'y avait pas de stylos à bille..
Merci saha
Quelle jolie manière d'exprimer l'émotion que l'on éprouve envers les livres qu'ils soient scolaires ou littéraires. J'ai aussi cet amour du livre de papier et, bien que cela soit plus pratique et prenne moins de place je peine à investir dans l'achat d'un kindle ou autre engin du genre. Je m'y suis mise assez tard : parents dans une secte qui censuraient tout ce qui aurait pu "corrompre" mon esprit pourtant curieux. J'ai commencé à travailler à 15 ans, me suis mariée à 18 ans et demi et suis devenue maman à 20 ans de quoi ne me laisser que très peu de temps libre puis, un jour, une collègue m'a prêté un livre. Oh pas de la grande littérature, non... un "bête" Guy des Car. Certes ce n'était pas le meilleur du meilleur mais il m'a transmis le virus. Ainsi on pouvait exprimer tant de choses par des mots sur du papier ! Je me suis rendue dans une bibliothèque, ai demandé conseil et les livres suivants ont été un peu plus roboratifs. J'ai fait connaissance avec Sartre, Boris Vian : le bonheur !
J'ai un tas de livres, reçus en héritage, que je n'ai pas encore lus. Des livres d'art, des biographies, des livres de médecine, des livres anciens magnifiquement reliés et illustrés, etc...
Lorsque j'ai vu le film "au nom de la rose", j'ai été bouleversée en voyant brûler tous les livres. Et ce n'était qu'un film !
Je n'ai pas le bonheur d'avoir une aussi belle "collection" de livres mais comme toi je suis traumatisée de voir détruire des livres. Les livres doivent vivre et circuler. Si on en aime pas ou plus un pourquoi ne pas en faire profiter quelqu'un d'autre qui l'appréciera peut-être ? Il y a un mouvement en France et en Belgique (peut être ailleurs aussi...) de gens qui déposent des livres sur les bancs publics, sur les banquettes de trains, métro, etc... et qui les laissent ainsi à disposition de qui les veut. Il y a aussi les boites à livres mises à certains endroits de passage : tu déposes un livre et tu en prends un qui devient ta propriété quitte à le ramener et à en reprendre un nouveau. De bonnes idées...
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