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N'a-t-il pas raison?...
L'AMOUR MÉDECIN - Dr Jean-Marc Dupuis
Chers amis,
Souvent je rencontre des personnes accablées de maladies compliquées, insensibles aux
médicaments.
Je m'efforce alors de ne pas minimiser leur douleur, et surtout de ne pas « relativiser ».
Rien de plus facile en effet que d'évoquer la guerre, la pauvreté dans le monde, les famines,
les souffrances des autres : « Tu vois, tu n'es pas si malheureux ! »
Sous une apparence d'évidence, cette réponse est ridicule et même un peu méchante.
En effet, qui sommes-nous pour juger de la souffrance des autres ? Même une personne en
bonne santé et qui a en apparence « tout pour être heureuse » peut ressentir chaque nuit
d'horribles angoisses, être envahie de désespoir le matin au point de ne pas réussir à sortir
de son lit, souffrir d'un manque d'amour, de solitude ou, plus profondément encore, d'un
abîme dans son âme dont elle ne voit pas le fond. Sans savoir pourquoi, ni les causes
profondes de son mal, elle est rongée par la souffrance et c'est une cruauté d'aller lui dire
que sa vie n'est pas si dure.
La première chose que j'essaye de faire est vraiment de montrer avec des mots, des gestes,
que non seulement je comprends cette douleur mais même que je la ressens moi aussi, au
moins en partie.
Ce sentiment vient naturellement car c'est ainsi que nous sommes faits. Même devant la
souffrance d'inconnus à la télévision, même dans des films où nous savons pourtant que
ce sont des acteurs… notre gorge se noue, nos tripes se tordent, nous avons envie de faire
quelque chose face à la douleur.
L'AMOUR QUI SOIGNE
Et le miracle, c'est que cette envie procure déjà un soulagement à ceux qui souffrent. Un
soulagement, et même parfois une joie et un début de guérison. Oui, je n'hésite pas à parler
de miracle car cette chose est incroyable quand on y réfléchit, et pourtant elle nous est
tellement familière.
Combien de fois ai-je vu mes enfants se faire mal et réellement souffrir, crier dans un
torrent de pleurs. Leur maman accourt, ou moi-même. Nous faisons la grimace, nous
poussons des « oh » et des « ah » devant ce genou écorché, l'enfant nous regarde à
travers ses larmes, voit que nous souffrons pour lui… et déjà ses cris se changent en
sanglots, ses larmes se tarissent… La douleur n'est plus aussi forte, la convalescence va
bientôt commencer.
Il serait bien naïf, ou plutôt pessimiste, d'imaginer que la chose ne vaut pas aussi pour les
adultes.
Ce n'est pas pour rien que, dès qu'il nous arrive malheur, nous appelons les personnes que
nous aimons. Inconsciemment, nous savons que raconter notre malheur permet de partager
notre douleur, au sens propre du mot « partager ». Nous « donnons » un petit peu de
douleur à chaque personne autour de nous si bien que la nôtre s'atténue et devient plus
supportable.
Et le soulagement peut aller très loin : les personnes qui ont connu de grandes épreuves
et qui ont la chance d'avoir pu en faire un livre, un documentaire ou un film à succès, faisant
ainsi connaître au monde entier leur souffrance, peuvent déclencher tant de compassion
qu'elles-mêmes finissent par se réjouir du malheur qui les a affligé mais qui leur apporte
tant de chaleur humaine.
C'est la force incroyable de la compassion.
D'où l'importance cruciale de veiller à exprimer autant que nous le pouvons notre
compassion auprès des personnes souffrantes. Nous avons là entre nous, souvent sans
le savoir, un bien inestimable, un trésor que nous pouvons distribuer à pleines mains, sans
que cela ne nous retire quoi que ce soit, bien au contraire. (la suite ci-dessous)
NE PAS SE LAISSER IMPRESSIONNER PAR L'INDIFFÉRENCE
Bien sûr, nous avons aussi une capacité d'imagination qui nous permet de nous « blinder »
face à la douleur. Se blinder consiste à penser à autre chose pour se cacher à soi-même
la douleur que l'on a sous les yeux, faire comme si elle n'existait pas. Ainsi par exemple des
infirmiers transportant un grand brûlé peuvent-ils parler tout haut de leurs vacances, du
dernier film, et même rire aux éclats.
Même si cela peut paraître choquant, il faut comprendre que cette indifférence apparente
n'est possible que parce qu'ils font semblant d’ignorer la personne souffrante. S'ils devaient
arrêter de parler et regarder « l'homme de douleur » droit dans les yeux, voir ses blessures,
lui parler, alors il leur serait impossible de ne pas ressentir dans leur propre chair une partie
de ses souffrances.
Les personnes qui travaillent dans les hôpitaux, les centres de soins palliatifs, les pompiers
qui gèrent les accidents de la route et les soldats développent tous cette capacité de faire
semblant, de s'abstraire (se tirer hors) de la réalité, dans une certaine mesure.
SADIQUES ET PSYCHOPATHES
On parle beaucoup des « sadiques » qui prétendument tirent plaisir de la douleur des autres.
En réalité, ce « plaisir » n'a rien à voir avec le plaisir vrai que vous éprouvez par exemple
blotti dans les bras d'un être aimé devant un beau soleil couchant. Le plaisir du sadique
est un plaisir paradoxal, issu de la douleur qu'il s'inflige à lui-même en regardant souffrir les
autres.
Reste enfin le cas à part des « psychopathes », qui font les serial-killers. Ce sont des cas
très particuliers de malades mentaux, bien identifiés par les psychiatres, à qui il manque une
fonction cérébrale naturelle, exactement de la même façon qu'il peut manquer à quelqu'un la
vision, la parole ou la mémoire.
Cette fonction qui leur manque est justement celle de la compassion, c'est-à-dire,
étymologiquement, la capacité de souffrir avec les autres. Le psychopathe est capable,
comme on le voit dans certains films horribles, de se faire un bon repas et de s'amuser
franchement alors qu'il a juste à côté de lui une victime torturée. Mais ce n'est pas normal.
C'est parce qu'il est malade.
Il faut se rassurer : le fait qu'existent des psychopathes ne prouve rien sur ce que sont les
autres hommes. La psychopathie est une anomalie mentale. Elle ne touche que moins de
1 % des personnes.
Des expériences scientifiques ont montré que 99 % des gens souffrent en voyant quelqu'un
d'autre souffrir. Cela a pu être observé grâce à l'IRM, une façon de scanner le cerveau pour
observer les parties qui s'activent. On a pu montrer comment des images d'enfants qui
souffrent, par exemple, « allument » automatiquement la zone de compassion dans le
cerveau de la personne qui observe, déclenchant une souffrance morale.
CONSERVER NOTRE HUMANITÉ
Bien entendu, plus nous circulons dans tous les sens, plus nous croisons des masses de
personnes que nous ne reverrons jamais, plus nous apprenons à faire semblant qu'elles ne
sont pas là et à rester concentrés sur nos pensées.
C'est un lieu commun de déplorer l'anonymat des grandes villes, la solitude au milieu de la
foule, mais ces plaintes sont infantiles car c'est un phénomène normal. Il est normal de ne
pas chercher à s'intéresser à chaque personne quand on frôle chaque jour des milliers de
visages. Dans les villages où règne encore une certaine convivialité, les habitants n'ont pas
plus de mérite que les citadins. Ils ne sont pas plus humains, généreux ou sensibles. C'est
bien sûr parce qu'ils sont moins nombreux et retombent plus souvent sur les mêmes gens
qu'ils ont l'occasion de se rencontrer, se parler, se connaître.
Cela n'empêche pas bien sûr qu'il faille nous efforcer d'être souriants, aimables et ouverts
dans les grandes villes. Je trouve pour ma part détestable la pratique de se promener partout
avec des écouteurs enfoncés dans les oreilles, interdisant aux autres la moindre tentative de
communiquer. De même pour les capuchons, foulards, bonnets et mêmes grandes lunettes
de soleil opaques visant à se dissimuler la tête ou le visage, qui créent une atmosphère
d'indifférence voire de défiance insurmontables, même avec la meilleure volonté du monde.
Mais quoi qu'il arrive, tout cela ne change pas notre nature. Cela ne change rien à cette
extraordinaire capacité de compassion que nous avons en nous, qui est une des plus belles
manifestations de l'amour.
Faites bon usage de ce trésor,
À votre santé !
Bon début de semaine et gros bisou de Fès: Younes :d :d (k) (k)
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